Écrit par www.AntiRecrutement.info
Urgence de recruter
La plus grande campagne de recrutement militaire canadienne depuis la Seconde Guerre mondiale est en cours. Lancée en 2006 par le ministère de la Défense nationale, cette entreprise colossale doit se poursuivre jusqu’à ce que soit rencontré le principal objectif, augmenter de 20 % la taille de l’armée. Les analystes militaires eux-mêmes reconnaissent que cet objectif ne pourra pas être rencontré avant plusieurs années et que la campagne de recrutement actuelle devra se poursuivre au-delà de l’échéance initiale de 2011(1).
Le recrutement à court terme de près de 50 000 nouveaux militaires est visé pour contrebalancer les départs à la retraite des « boomers » en plus d’accroître de 25 000 les effectifs. Le nombre de recruteurs à l’échelle du pays a rapidement été multiplié dans l’espoir de rencontrer cet ambitieux objectif.
Le général Rick Hillier, le chef d’état-major ayant lancé cette campagne, explique bien le changement de cap : « Nous passons d’une approche de recrutement passive où essentiellement nous attendions que l’on vienne nous voir à une approche différente, davantage active et agressive » (2).
Il ajoute que chaque militaire doit contribuer activement à l’effort de recrutement, peu importe son statut : « Le recrutement est l’affaire de tout le monde. Je m’attends à ce que chaque marin, soldat, aviateur ou aviatrice reconnaisse son rôle en tant que recruteur potentiel des Forces canadiennes » (3). Selon le général, la campagne de recrutement actuelle est également un outil pour provoquer un « changement de culture » au sein de la société canadienne et vise à faire accepter une présence plus grande du secteur militaire dans nos vies.
Les recruteurs doivent tout mettre en œuvre pour atteindre les cibles de plus de 13 000 nouvelles recrues par an. Le profil-type de la « clientèle » ciblée est âgée de moins de 24 ans: on peut donc comprendre que les écoles soient perçues comme le bassin de potentielles recrues par excellence. Dès la fin du primaire, l’armée vise à intéresser les jeunes en utilisant le mouvement des cadets. Au secondaire, les étudiants sont approchés par des recruteurs leur présentant des opportunités d’aventure. Auprès des cégépiens et des universitaires, ce sont principalement des motivations d’ordre financières qui sont mise de l’avant. Les kiosques de recrutement et la publicité militaire se multiplient dans nos écoles.
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1. « Objectifs d’expansion de l’armée » La Presse, 24 mai 2009
2. Activist Magazine, Toronto, Septembre 2006
3. Site web du ministère de la Défense
La militarisation de notre société
La campagne actuelle de recrutement est effectuée dans le cadre de l’expansion fulgurante que connait depuis 2001 le militarisme au Canada. En dollars ajustés, le budget de notre armée est à ce jour à son plus haut niveau depuis la Seconde Guerre mondiale, et il continue de s’accroître à un rythme sans cesse grandissant. Quotidiennement, plus de 55 millions de dollars sont dirigés vers l’armée. Alors que cette nouvelle orientation canadienne entraîne des répercussions certaines au Moyen-Orient où nos soldats font la guerre, elle transforme également nos communautés.
On peut facilement apercevoir, dans l’espace public, des publicités nous incitant à « Combattre avec les Forces ». Les milieux défavorisés et ceux fréquentés par la jeunesse sont régulièrement visités par ceux qui ont le mandat d’élargir les rangs de l’armée. Cette tendance ne peut que continuer à s’intensifier, puisque les centres militaires de recrutement et de relations publiques continueront à bénéficier d’augmentations budgétaires astronomiques pour les prochaines années.
Nous sommes la cible de publicités glorifiant le rôle des militaires et vantant les vertus de leurs entreprises à l’étranger. Dans les journaux, à la radio et à la télévision, on nous montre régulièrement des analyses nous présentant les « missions » de nos soldats comme une nécessité, l’industrie de l’armement comme un lieu d’investissement légitime et la carrière de militaire comme un engagement humaniste. Quand il ne s’agit pas directement d’officiers en uniforme, ce sont habituellement des « experts indépendants » bénéficiant de millions en financement du ministère de la Défense qui nous adressent ce type de message. Peu importe leurs titres, ces acteurs sont rarement indépendants et semblent valoriser des interventions militaires nécessitant des investissements considérables dont les marchands de canons et les grandes pétrolières sont les premiers à tirer profit.
Nos dirigeants affirment que la lutte au terrorisme doit devenir la priorité de nos États et que l’on doit se doter des moyens nécessaires pour combattre la menace. On nous dit que la nouvelle vision plus agressive de la politique fédérale vise à nous protéger, à défendre nos valeurs et nos intérêts. C’est ainsi que le Canada a abandonné les missions de maintien de la paix pour participer à des conflits offensifs. Cette nouvelle orientation nous rapproche-t-elle réellement d’un idéal d’équité, de justice et de paix?
Combien coûte le militarisme?
On peut être porté à croire que notre pays est peu impliqué dans l’industrie militaire. C’est l’image qu’on nous présente dans les médias, qui ne ratent pas une occasion de véhiculer l’impression selon laquelle « le Canada doit s’équiper d’armement plus sophistiqué pour répondre aux exigences de la communauté internationale ». Or, la réalité est tout autre:
Le budget militaire canadien est de près de 19 milliards par année : c’est le 13e plus important au monde.
En dollars ajustés, le budget militaire est à son plus haut point depuis la Seconde Guerre mondiale : il dépasse même le sommet atteint lors de la guerre froide.
Les dépenses militaires auront augmenté de 37 % entre les années financières 2000-2001 et 2009-2010.
En 2008, le gouvernement conservateur a annoncé une nouvelle hausse des dépenses militaires, qui devraient atteindre 490 milliards au cours des 20 prochaines années.
En moyenne, chaque foyer canadien débourse annuellement pour plus de 1500 dollars en impôts destinés à l’armée.
Le coût d’un seul hélicoptère de transport de troupes de type Chinook, 111 millions, équivaut au budget de fonctionnement annuel de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Le Canada a commandé 16 de ces hélicoptères en 2007.
13 % de ce que la population québécoise verse à l’armée permettrait d’abolir les frais de scolarité postsecondaires dans la province.
Où se dirigent les ceux et celles qui ont joint l’armée?
Selon la croyance populaire, le Canada est mondialement reconnu dans le domaine des missions multilatérales de maintien de la paix à travers le monde. On n’a qu’à penser à l’initiative des Casques bleus des Nations Unies qui ont été fondés par l’ancien premier ministre Pearson au cours des années 1950. Or, cette période d’engagement pour la paix est maintenant révolue. Depuis le début des années 2000, le Canada s’est massivement retiré des missions de l’ONU pour s’engager, aux côtés des Américains, dans des campagnes offensives.
La paix n’est définitivement plus une priorité pour notre gouvernement, et les ressources dérisoires qui y sont consacrées peuvent en témoigner. Ce sont seulement 56 soldats canadiens qui sont maintenant engagés dans les missions des Casques bleus, ce qui ne représente que 0,08 % des effectifs de la force multilatérale (c’était plus de 10 % dans les années 90)(1).
Le rôle de nos soldats dans le conflit afghan.(2)
Des indices de plus en plus nombreux portent à croire que le déploiement militaire en Afghanistan n’a rien à voir avec les belles intentions professées par les généraux. La démocratie et la condition des femmes n’ont fait que se détériorer et la lutte à la menace terroriste à l’intérieur de nos frontières n’est qu’un leurre. La guerre en Afghanistan n’a pas été autorisée par les Nations Unies, elle a été lancée par les États-Unis sans même l’autorisation du Conseil de sécurité de l’ONU.
Le conflit afghan s’est déjà étendu sur une période plus longue que la durée de la Seconde Guerre mondiale, sans réel gain concret. Même le premier ministre Harper admet que : « nous n’allons pas gagner cette guerre en restant en Afghanistan » (3). Il a d’ailleurs reconnu que l’Afghanistan a presque toujours connu des insurrections dans son histoire et qu’il est impossible pour une force étrangère à elle seule d’y instaurer la paix.
Par ailleurs, l’ancien commandant des Forces canadiennes en Afghanistan, le major-général Andrew Leslie, affirme : « À chaque fois que vous tuez un jeune homme en colère à l’étranger, vous en créez quinze autres qui vous pourchasseront par la suite » (4). Ainsi, si on applique cette logique, on peut en déduire que la présence de troupes occidentales en Afghanistan ne permettra jamais de résoudre le conflit, mais seulement de l’attiser.
La démocratie
Selon Human Rights Watch, plus de la moitié des membres du nouveau parlement instauré par les Occidentaux sont liés à des groupes armés ou sont coupables de violations de droits de la personne. Selon Malalai Joya, ancienne députée afghane:
« Le gouvernement américain a effectivement renversé le régime des Talibans, avec son esprit médiéval et ses maîtres d’Al Quaeda. Mais, ils ont permis que l’Alliance du Nord accède à nouveau au pouvoir. Ce groupe ressemble aux Talibans sur le plan des croyances, et ils sont aussi brutaux et anti-démocratiques qu’eux. Parfois encore pires. » (5)
Il en est de même pour la préoccupation quant au sort réservé aux femmes. À peine quelques semaines après que les bombardements aient chassé du pouvoir les Talibans, Georges Bush déclarait : « Le drapeau américain flotte au-dessus de notre ambassade à Kaboul […] Et aujourd’hui les femmes de l’Afghanistan sont libres »(6). L’utilisation de la notion de défense des droits des femmes pour justifier l’intervention armée en Afghanistan semble largement surfaite. Selon Malalai Joya:
« Mon pays se trouve encore entre les griffes d’extrémistes et de terroristes meurtriers. La situation en Afghanistan, surtout celle des femmes afghanes vouées au malheur, ne changera jamais pour le mieux, tant et aussi longtemps que les seigneurs de guerre [placés au pouvoir par les Américains] ne seront pas désarmés. » (7)
Les véritables motifs de la guerre
Les raisons qui sont données aux Canadiens pour justifier la guerre en Afghanistan, tout comme celles utilisées pour l’Irak, ne tiennent pas la route. Les motifs sont d’ordres politique et économique.
L’Afghanistan a toujours été un endroit de convoitise en raison de sa situation géographique. C’est d’ailleurs ce qui lui a valu d’être au cœur d’incessants conflits: les empires britanniques et soviétiques ont tour à tour tenté de dominer le pays au cours du siècle dernier. Quiconque s’assure de contrôler les frontières afghanes se dote d’une grande influence sur le développement économique des pays avoisinants que sont l’Iran, la Russie, la Chine, l’Inde et le Pakistan. La plupart d’entre eux entretiennent depuis longtemps des relations diplomatiques tendues avec les États-Unis; il est donc politiquement avantageux pour eux de contrôler les accès aux ressources naturelles de l’Asie centrale.
Les réserves de combustibles fossiles de la région de la mer Caspienne nécessitent un oléoduc pour pouvoir être exploités par des entreprises occidentales avec un maximum de profits. L’ancien premier ministre Jean Chrétien s’est d’ailleurs assuré que c’est ce qui se produirait en participant personnellement aux négociations de la création d’un nouvel oléoduc trans-afghan. Il est curieux de constater que celui-ci se situe en grande partie dans la région de Kandahar, là où les soldats canadiens mènent aujourd’hui des combats.
Depuis le 11 septembre 2001, le Canada contribue à bâtir le nouveau dogme de la lutte contre le terrorisme qui a remplacé la menace soviétique. Il permet de maintenir la mobilisation militaro-industrielle en Occident face à un ennemi qui peut en tout temps frapper n’importe où. La mission en Afghanistan est le coeur et l’âme de la mise en application de ce dogme de la menace et de la peur. Faire la guerre au Moyen Orient est pourtant une démarche contre-productive pour lutter contre le terrorisme, puisque cela ne fait que semer le désespoir et attiser la haine.
Les perspectives à long terme
Lors de son déclenchement en 2001, la guerre en Afghanistan a été présentée comme une courte intervention : le contrôle du pays devait être rapidement transféré aux nouvelles autorités afghanes. Initialement, nos soldats devaient demeurer au pays jusqu’en février 2009. Or, le gouvernement a décidé en catimini de poursuivre minimalement sa participation au conflit jusqu’en 2011. Toutefois, selon les mots de notre premier ministre, c’est seulement « la mission telle qu’on la connaît actuellement » qui prendra fin en 2011. Les soldats canadiens demeureront donc en sol afghan durant encore de nombreuses années. Puisqu’il s’écoule environ un an entre le moment où quelqu’un joint l’armée et celui où il est entraîné et mobilisable, un jeune qui s’enrôle en ce moment peut très bien être déployé en Afghanistan avant la fin du conflit.
«28% des 2700 soldats des Forces canadiennes examinés à leur retour d‘Afghanistan montraient les symptômes d’un ou de plusieurs troubles mentaux, incluant la dépression nerveuse, les attaques de panique et les tendances suicidaires.» (8)
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1. « Jeunes chômeurs recherchés », La Presse, 21 août 2007
2. Section rédigée à partir de : « Le Canada dans la guerre d’occupation en Afghanistan », Collectif Échec à la guerre, disponible en ligne sur www.echecalaguerre.org
3. Entrevue à CNN, 21 février 2009, citée sur www.radio-canada.ca/radio/maisonneuve/02032009/116260.shtml
4. Entrevue au Daily News, 12 octobre 2006.
5. Discours de Malalai Joya, au congrès du NPD, 9 sept. 2006
6. « Une guerre pour les femmes? », Le Monde diplomatique, mars 2002
7. Ibid
8. « De nombreux soldats de retour d’Afghanistan souffrent de troubles mentaux », La Presse canadienne, 27 octobre 2007.