Écrit par Normand Beaudet
Depuis septembre dernier, l’armée canadienne a mis en branle, à nos frais, une redoutable machine de relations publiques pour nous convaincre de l’esprit humanitaire de sa mission en Afghanistan et du rôle inévitable de nos soldats qui y perdent la vie. Les récentes publicités de l’armée canadienne nous transmettent le message suivant :
Combattez la peur!
Combattez la détresse!
Combattez le chaos!
Elles nous suggèrent comme pensée : l’armée canadienne aide les gens ; les Canadiens ne doivent pas laisser tomber la population afghane.
À mots couverts cependant, tous; les militaires compris, expriment le doute, émettent des réserves face aux raisons, pour le moins nébuleuses, de la mission du gouvernement canadien en Afghanistan. On se questionne sur l’issue plus qu’incertaine tant du point de vue de l’échéance de la mission « humanitaire » que des résultats escomptés.
Au sein de l’OTAN, les généraux américains parlent de chasser les talibans jusqu’en territoire pakistanais. Les militaires, chefs d’opérations sur le terrain parlent d’une présence militaire qui pourrait durer 10 ans, capable de contenir l’influence iranienne. Un nombre croissant de spécialistes affirment qu’avec la présence de la drogue et surtout des barons de la drogue au pouvoir, les conditions semblent réunies pour transformer Kandahar en un véritable guêpier comparable à Bagdad.
Or un consensus semble se dessiner parmi les spécialistes en géostratégie. Le Canada et l’OTAN sont là pour contenir l’influence grandissante de l’Iran dans la région. Prenez une carte de la région et suivez l’explication. Le pétrole de la mer Caspienne, suite à l’indépendance des anciennes républiques soviétiques, doit cesser de circuler par les voies de transport et par les pipelines russes vers Saint-Petersbourg et la mer Baltique, et ne doit surtout pas commencer à circuler dans les pipelines iraniens existants, en direction du Golfe Persique. Bien que d’une importance secondaire pour ‘approvisionnement mondial, on ne peut permettre que cette ressource soit une source de financement pour des intérêts potentiellement hostiles. L’Afghanistan et l’ouest du Pakistan doivent donc être nettoyés des militants talibans hostiles pour permettre la construction d’un pipeline vers la mer d’Oman. C’est vraisemblablement la mission qu’a acceptée le gouvernement Harper pour l’armée canadienne. Pendant ce temps, sur le terrain, la sympathie populaire va de plus en plus aux talibans.
SOMMES-NOUS VÉRITABLEMENT SUR PLACE AU SERVICE DU PEUPLE AFGHAN ?
Si tel était le cas :
-Le Canada cesserait immédiatement les opérations offensives en Afghanistan, car la paix ne s’impose pas par la force. Il définirait son action en fonction des forces constructives en opération dans le pays en se dissociant des barons de la drogue, même ceux présentement au pouvoir. La mission actuelle prendrait une allure civile, de type plutôt policière, où des efforts de conciliation, médiation et de désamorçage du conflit seraient mis en place par l’ONU visant toutes les factions en place. Il est absurde de vouloir bâtir la paix et d’exclure les talibans de la solution politique;
-les militaires européens de l’OTAN l’ont bien compris.;
-Le Canada revendiquerait le retrait du mandat des opérations à l’OTAN, une alliance militaire offensive dirigée parun général américain. Il s’associerait avec les Européens qui refusent la dynamique de la mission actuelle; il travaillerait à la mise en place d’une véritable intervention multilatérale de démilitarisation dans le pays;
-Il soutiendrait un investissement dans une alternative économique avec la collaboration active des paysans, afin de sortir l’économie du joug des trafiquants d’opium, barons de la drogue et talibans confondus;
-Voire, le Canada contribuerait à la mise en place d’une infrastructure permettant la récolte du pavot et son utilisation à des fins médicinales pour les millions de personnes qui n’ont pas accès à de la morphine et de la codéine, etc. Unemanière de couper des ressources financières et des munitions les seigneurs de la guerre;
DÉMILITARISER L’INTERVENTION :
Les récents conflits nous ont appris de nombreuses leçons. Lorsqu’on a à coeur le bien-être d’une population, une des premières initiatives à mettre en place est le développement d’un réseau étendu de sanctuaires protégés par une présence civile internationale. On évite à tout prix de militariser l’intervention internationale afin de pouvoir condamner et contenir la militarisation des forces en présence. En général, les gens qui veulent la guerre sont minoritaires, on doit documenter les actions guerrières qu’ils commettent et développer rapidement des alliances avecla vaste majorité des opposants à la guerre. Des mesures doivent être prises pour mobiliser ces opposants et faire ensorte qu’ils ne puissent pas être mobilisés par les factions guerrières. On facilite l’objection de conscience, la démobilisation et même la désertion. Il faut gagner, et même appuyer les pays limitrophes qui acceptent de collaborer avec les initiatives de démilitarisation du conflit. Les pays limitrophes hésitent à collaborer à des initiatives guerrières car ils en sont généralement les premières victimes en accueillant les réfugiés. En offrant une assistance active et fiable aux initiatives de désamorçage et de démilitarisation du conflit à ces pays, ils ont tout à gagner.
Les minorités guerrières en Afghanistan sont connues, les réseaux de soutien aussi. Toute action offensive nourrit les prétentions de lutte pour la souveraineté de ces factions, et facilite la mobilisation de ressources humaines, financières et technologiques vers le combat. C’est ce cycle qui doit être désamorcé, et ce n’est surtout pas en lançant des offensives militaires que cette dynamique sera déstabilisée. Les actions des collaborateurs financiers ou logistiques à la militarisation du conflit doivent être documentées et déposés en cours internationale, les avoirs des gens impliqués doivent être gelés. Il faut donner les moyens de mettre en oeuvre des actions non-violentes aux groupes de citoyens qui s’opposent présentement avec courage à la guerre. Il est donc démagogique de prétendre que le retrait des militaires canadiens du terrain équivaut à l’abandon de la population afghane.
La présence militaire sur le terrain transforme le Canada en belligérant et empêche toute action constructive. Une fois l’enlisement complet dans le bourbier d’une guerre dans cette région, notre pays aura perdu toute sa crédibilité et ne pourra plus contribuer à la résolution du conflit. LA QUÊTE DU POUVOIR En toutes circonstances, le recours à la force et à l’armée doivent être un dernier recours, lorsque tous les moyens civils non-violents ont été épuisés. Le recours à la force est le départ de la militarisation d’un conflit, où, inévitablement, la population civile écopera. Il est impossible d’intervenir militairement sans affecter l’intégrité des populations. Si le Canada désire collaborer avec les États-Unis à contenir les projets de la « Grande Russie » de Vladimir Poutine, ou à contenir l’influence Islamiste iranienne dans la région, là, les moyens utilisés peuvent être adéquats. Dans ce cas, la vraie raison de la mission en Afghanistan doit être divulguée, et obtenir l’assentiment des Canadiens pour sa poursuite.
Un retrait de l’armée canadienne signifierait que le Canada n’adhère plus à cette mission offensive associée à des intérêts économiques et géo-stratégiques douteux. Il signifierait le désir du Canada de revenir à des initiatives multilatérales visant véritablement à prévenir, contrôler et désamorcer les conflits internationaux. Les Canadiens endossent-ils le fait que le Canada ait laissé tomber les opérations de maintien de la paix des Nations-Unies ? Les Canadiens acceptent-ils un virage militariste vers le maintien d’une zone d’influence américaine en Asie centrale ?
Appliquons-nous véritablement les moyens appropriés pour défendre la population?