Travailler pour la PAIX nécessite une analyse froide et aussi approfondie que possible des enjeux. On l’a constaté avec les conflits en Irak déclenché par les fantomatiques armes de destruction massive. Et aussi en Afghanistan, ou les armées occidentales volaient à la défense des jeunes filles abandonnées depuis le retour des Talibans. De nombreux éléments nous indiquent que nous sommes toujours face à ces pénibles intérêts économiques imposée par les puissants de ce monde. Ce qui devrait compter, c’est la sécurité des populations, non pas la sécurité des marchés. La vrai question ici n’est pas qui a raison? Mais plutôt, comment faire cesser ce grand théâtre de la destruction. N’avons nous pas notre responsabilité envers le tragique sort de la population ukrainienne ?i
Un peu de géographie pour mieux saisir les enjeux.
Lors de la diffusion d’un tout récent plan de paix pour l’Ukraine; la Chine propose en complément à sa proposition la construction d’un gazoduc de la Russie, vers son territoire. La proposition a semblé étrange pour plusieurs, mais c’est dans l’ordre des choses. Pour saisir l’essentiel des enjeux territoriaux et stratégiques du conflit, il faut avoir bien en tête la carte des conduites de combustibles fossiles traversant l’Ukraine vers l’Europe.
Peu de gens savent que l’Ukraine est le véritable carrefour gazier de l’ Europe. Ce fait n’est pas nouveau. Avant même la seconde guerre mondiale des canalisations de gaz étaient en place et se déployaient en un vaste réseau de distribution couvrant l’essentiel de l’est de l’Europe. Aujourd’hui même, si on y intègre la Biélorussie, on doit savoir que le plus important circuit de transport de gaz naturel au monde traverse le territoire ukrainien; à la conjonction de l’Europe et de l’Asie. L’est de l’Ukraine est particulièrement convoitée car c’est le lieu de carrefour de ces importants gazoducs de transport. La régions regroupe aussi certaines des plus importantes installations de stockage en gaz naturel d’Europe. Ces réseaux sont approvisionnés presque exclusivement par la société Gazprom de Russie, et sont opérés par la société d’État ukrainienne Naftogaz.
Sans ces informations, il est impossible de comprendre les enjeux actuels du conflit en Ukraine. Il est encore moins possible d’envisager une fin aux carnages et aux destructions. La solution au conflit passera inévitablement par une désescalade. Les mécanisme de désescalade devront nécessairement répondre aux impératifs des belligérants, qui semblent de plus en plus économiques. Comme ce texte tente de l’illustrer, sans considérer les enjeux économiques et énergétiques, il est impossible de comprendre les enjeux et d’envisager des voies de sortie de cette guerre.
L’Ukraine, véritable carrefour gazier.
Bien entendu loin de nous l’idée de prétendre que le gaz soit le seul et unique enjeu déterminant le lancement de l’offensive militaire russe. Les enjeux géostratégiques de la fin de la guerre froide sont importants. Le positionnement agressif de l’OTAN en territoire est européen suite au démantèlement de l’empire soviétique compte pour beaucoup. Les alliances entre forces politiques autoritaires telles que la Chine, la Russie et l’Iran sont des facteurs non négligeables, et doivent être analysées dans les perspectives de désescalade du conflit. La propension de Vladimir Poutine au chantage économique et politique pour imposer sa volonté ou étaler sa soif de pouvoir n’est pas non-plus un fait négligeable.
Mais il est certain que la composante du réseau gazier dans cette région de l’Europe offrent de nombreuses réponses à un très grand nombre d’interrogations relatives au conflit. En ce sens cette démarche de réflexion est critique pour comprendre plusieurs événements. On ne parle pas de recherche ici, mais du recoupement et de l’organisation rapide d’une gamme d’informations qui dépeignent un portrait préliminaire d’une situation préoccupante. On doit parler d’un regroupement d’informations préliminaires, à valider et à documenter? Confirmer ces composantes serait l’objet d’une véritable thèse de maîtrise. Mais l’exercice de recoupements des faits est assez instructif, et devrait mener des intéressés à creuser la question cette douloureuse question. ii Quel rôle joue le contrôle du marché du gaz dans cette interminable boucherie?
J’ai publié en entrée deux cartes qui situent le positionnement des réseaux gazier dans cette région d’Europe. Puis, il y a la carte ci-dessous qui dépeint clairement la réalité du terrain au moment d’écrire ces lignes.
Gazprom et Naftogaz les sociétés, soeurs ennemies:
Pour comprendre l’origine possible du conflit, on doit nécessairement, en tout premier lieu, se pencher sur les enjeux critiques dans la perspective de la Russie. L’Est de l’Ukraine, on le voit sur les cartes précédentes est le coeur du carrefour pipelinier d’Europe; c’est ici que le contrôle de l’accès et la distribution du gaz se fait.
Gazprom : Le contrôlant géant russe.
Impossible de comprendre la situation politique actuelle sans situer l’importance de la Société Gazprom pour Vladimir Poutine? Gazprom est mondialement réputée comme l’une des principales entreprises émettrices de gaz à effet de serre dans le secteur des hydrocarbures. La Société est le fer de lance de la politique économique de Vladimir Poutine, rien de moins. La Société est l’ancien ministère de l’exploitation gazière de l’URSS, transformé en entreprise privée en 1989 lors du démantèlement de l’Empire Soviétique. Sa privatisation a été l’élément déclencheur de l’enrichissement rapide d’un grand nombre d’oligarques russes, plusieurs ayant été de hauts dirigeants du Ministère.
A peine une décennie après sa création la Société est déjà considérée comme le deuxième plus gros investisseur du monde. L’entreprise est en mesure d’engager plusieurs dizaines de milliards de dollars d’investissements dans l’extension de ses réseaux de transport et de distribution. L’entreprise est réputée pour générer plus du cinquième des recettes budgétaires de l’État russe, et contribuerait à plus de 8 % au PIB du pays. À elle seule l’entreprise employait au début des années 2000 plus de 400 000 personnes. Selon plusieurs sources « En 2004, elle produisait environ 93 % du gaz naturel russe, tout en contrôlant 16 % des réserves mondiales, soit environ 28 800 k milliards de m³ de ce combustible. Ses clients se trouvent en Europe centrale et en Europe occidentale, ainsi que dans les pays de l’ancienne URSS. En plus de ses réserves de gaz naturel, elle possède, compte tenu de l’étendue du territoire russe le plus grand réseau de gazoducs au monde, environs 160 000 km. Il est impossible de saisir les enjeux du conflit actuel, sans considérer l’importance névralgique, voir même stratégique de cette Société de combustibles fossiles.
Pour le régime de Vladimir Poutine, le maintien de la position de dominance en Europe de la Société Gazprom est capital. Historiquement, lors de la seconde guerre mondiale, le contrôle du réseau ukrainien d’approvisionnement, impliquait de fait le contrôle du marché du gaz dans toutes les anciennes républiques soviétiques. Ces canalisations constituaient donc un important moyen de contrôle politique sur ses pays satellites pour l’URSS.
Depuis la fin des années 1970, jusque dans les années 2000; un important chantier de développement des réseaux gaziers se déploie. On doit se rappeler que le démantèlement de l’URSS se fait dans un contexte politique d’ouverture économique. La perspective de l’approvisionnement massif de toute l’Europe en combustibles fossiles conventionnels très abordable provenant de Russie est parmi les clés de la détente de 1990. Le démantèlement de l’Empire soviétique s’accompagne d’une accélération des grands chantiers gaziers, et de la prolongation des canalisations de transport de gaz à travers l’Europe. C’est dans ce contexte spécifique que prend forme cette grande dépendance surtout en gaz naturel de l’Europe envers la Russie. Les multiples pipelines de transport et le stockage gazier d’Ukraine deviennent les enjeux centraux du pouvoir politique sur le continent. Poutine le sait, l’Union européenne le subit. Les russes n’hésitent pas à utiliser le gaz comme un levier de contrainte. Les multinationales américaines perçoivent en cette dépendance accompagnée d’une forme de chantage politique une opportunité d’affaires. On est ici au coeur d’un enjeu critique de la terrible guerre à laquelle nous assistons présentement.
On doit aussi bien saisir les enjeux dans la perspective ukrainienne. On parle ici de canalisations névralgiques pour la stabilité économique du pays. En regardant de près la carte de l’Est de l’Ukraine, on comprend vite que la région du Donbass n’était qu’un pied dans la porte pour Poutine. Une fois le territoire annexé, la majorité du gaz transitait toujours hors du territoire conquis. Dans une perspective de contrôle énergétique du carrefour gazier, comprend assez bien que Poutine n’allait pas cesser sa conquête. L’annexion des territoires adjacents était tout ce qu’il y a de plus évident. En ce sens, un simple coup d’oeil aux cartes est révélateur. L’intention de Poutine est-elle la conquête de l’Europe, l’extermination du peuple ukrainien ou le maintien de son positionnement économique sur la marché énergétique européen? Le gaz étant le levier économique centrale à son pouvoir. La question se pose!
Naftogaz : la voie devenue incontournable vers l’Europe.
À la suite du démantèlement de l’URSS, le ministère de l’Énergie Ukrainien est devenu Naftogaz. C’est une société qui est toujours restée propriété du gouvernement du pays. Le réseau de gaz ukrainien atteindrait selon des informations faciles à trouver sur Internet de la société ukrainienne, aujourd’hui, plus de 38 550 kilomètres de canalisation, dont 22 160 kilomètres pour le transport à destination des pays d’Europe de l’Est et plus récemment d’Europe de l’Ouest.
Le site internet de la compagnie Naftogaz est toujours accessible malgré la guerre. On y retrouve une foule d’informations, à jour, qui doivent être analysées. Mais globalement, en 2009 la capacité d’importation du réseau de la société gazière ukrainienne était de 288 milliards de mètres cubes de gaz, et sa capacité d’exportation elle, était de 178 milliards de mètres cubes. Il n’est pas surprenant que la canalisation principale du réseau qui traverse l’Ukraine ait été nommée par les deux gazières, en des temps plus harmonieux : le « gazoduc de la fraternité », le Brotherhood Pipeline. Malheureusement pour le peuple ukrainien, il n’y avait rien de prémonitoire dans ce nom. On devrait plutôt parler, pour l’ensemble du réseau des gazoducs; de gazoducs du sang!
Une simple recherche dans les articles sur la société gazière ukrainienne donne un aperçu de son importance pour l’économie du pays. En 2017, Naftogaz comptait environ 72 000 employés et un chiffre d’affaires annuel de 7,443 milliards d’euros. Sur le total des revenus, 2,908 milliards d’euros (39,07 %) sont générés par la production de pétrole et de gaz, 2,415 milliards d’euros (32,45 %) par le transit de pétrole et de gaz, 1,137 milliard d’euros (15,28 %) par le transport et la vente de pétrole et 817 millions d’euros (10,98 %) est généré par le transport et les ventes de gaz. Il est important ici de noter un fait essentiel, critique dans le conflit actuel. Le contrat de transit entre Naftogaz et Gazprom permettant au gaz russe de transiter à travers l’Ukraine devait expirer en décembre 2019. La Russie et l’Ukraine se préparaient au fait que l’Ukraine cessera d’être le principal pays pour le transport du gaz russe vers les pays de l’Union européenne.
Ce fait explique les investissements massifs de Gazprom depuis 2012 dans la construction de très coûteux gazoducs maritimes contournant l’Ukraine. On ne peut que noter une certaine synchronicité entre l’agression armée actuelle et la fin des ententes gazières. Peut-on se surprendre de voir la Russie miser massivement ses ressources économiques sur des projets de gazoducs sous-marins? Cette politique est en vigueur dès le tournant des années 2000 afin d’acquérir la capacité autonome de contourner le territoire ukrainien. Un simple coup d’oeil à une carte du réseau ukrainien publiée par la société russe Gazprom donne une excellente idée de l’importance des infrastructures industrielles en jeux dans la région à l’est de l’Ukraine.
L’incertitude quant aux allégeances politiques des gouvernements ukrainiens des récentes années est un élément clé ici. L’alternance d’allégeance des gouvernements et partis politiques, soit entre l’Union Européenne ou la Russie a généré de multiples tensions et des conflits armés. Entre 2005-2009, la gestion des opérations gazières et les tractations politiques ont menés à de multiples bras de fer entre la Russie et l’Ukraine. Cette instabilité dans les affinités politiques teinte d’une incertitude perpétuelle les approvisionnements des nombreux pays importateurs européens, dépendants de l’approvisionnement des sociétés gazières Gazprom et Naftogaz. Les sources de conflits sont multiples : ingérence politique américaine et européenne, ingérence politique russe, manipulation par des dirigeants ukrainiens et russes corrompus; désaccord sur les prix et les volumes, sur les modalités de paiement de dettes gazières et sur la taxation des stockages et transits. Pour Gazprom et la Russie; ces incertitudes croissantes qui minent les revenus et l’expansion des marchés devaient être réglée. Les gazoducs sous-marins étaient la voie.
Les gazoducs de contournement sous-marins :
Nord Stream 1 : Le premier contournement sous la Baltique.
Des les années 2000, la Russie cherche des alternatives autonomes pour approvisionner l’Europe. C’est en 2005 que débutent les grands chantiers sous-marins. L’instabilité en Ukraine, les tergiversations de l’Union Européenne et les tractations continues de l’OTAN en territoire européen forcent un virage vers une certaine autonomie de la Russie. Les travaux du gazoduc Nord Stream 1 débutent et visent un approvisionnement direct de l’Europe de l’Ouest par l’Allemagne, via des canalisations sous la mer Baltique. Vladimir Poutine cultive un lien étroit avec le gouvernement d’Angela Merkel, un lien direct vers l’Europe, avec un seul puissant partenaire économique. L’Allemagne et son désir de puissance économique aura été la tactique privilégiée par la Russie. Le projet dont l’idée a été lancé avant l’arrivée de Poutine en 1997 a fait face à de nombreuses tractations et débats au sein de l’OTAN et de l’Union Européenne. La construction n’a démarrée qu’à la fin 2005, pour se terminer en 2011 avec une mise en service effective en 2012. Quinze ans de tractations et de conflits impliquant l’Allemagne, les États-Unis et l’Union Européenne.
La mise en service de la nouvelle canalisation a ses effets. En novembre 2013 le gouvernement ukrainien pro-russe de Viktor Ianoukovitch ne renouvelle pas ses accords économique avec l’Europe. C’est le début de nouvelles tractations économiques avec la Russie de Vladimir Poutine. Ce changement d’allégeance du gouvernement soulèvera une vague d’indignation dans la population. C’est le soulèvement qui mènera à cette « Révolution de la dignité » par les ukrainiens plus nationalistes, défavorables à la dépendance économique et politique envers la Russie. Cette opposition au virage vers Moscou entraînera l’émergence d’un conflits armés dans l’est du pays. Le tout a débuté avec la résistance des russophones dans l’Est; d’où la guerre dans le Donbass et l’annexion de la Crimée. Dans les tractations avec le gouvernement de Russie, il était fortement question de fusionner les deux gazières; Gazprom et Naftogaz pour en faire une seule société transnationale. L’enjeu central du conflit était assez clair, le libre transit transfrontalier des ressources. Il était aussi question de la levée des multiples contraintes pour la circulation des combustibles fossiles, surtout le gaz. Le litige est présenté comme un accord d’association avec l’Union Européenne versus une union douanière avec la Russie proposée par Poutine. Dans le contexte décrit plus haut, il est assez simple de cerner les enjeux. C’est le début de la guerre telle que nous la connaissons.
Le Turkish-Stream : la canalisation du sud, sous la Mer noire.
Une seconde voie maritime de contournement émerge dans le contexte de la présidence de l’homme d’affaire et milliardaire Petro Poroshenko en Ukraine. Les perspectives de canalisation ukrainiennes rentables sont perçues comme inexistantes par la Russie. Les position pro-européenne et de libre marché du dirigeant de l’État ukrainien verrouille les perspectives de diversification des canalisations vers l’Europe passant par l’Ukraine. C’est en pleine crise, dans une conjoncture de confrontations armées dans l’est de l’Ukraine et de virulents débats entre la Russie et l’Union européenne que le projet est lancé. Après l’échec du projet South Stream bloqué par l’Europe, la nouvelle canalisation dépend du bon vouloir de la Turquie, un pays membre de l’OTAN, rappelons-le.
La Russie devra attendre en juin 2017 pour que la construction du projet Turkish Stream soit lancée, en présence de Vladimir Poutine. Selon des informations faciles à obtenir; la conduite prévoit deux tubes de capacité identique, l’un pour les consommateurs turcs, et l’autre pour l’Europe du Sud. Le pipeline débute à la station de compression de Russkaya près d’Anapa. La capacité du pipeline est de 31,5 milliards de mètres cubes par an de gaz naturel dont le marché turc absorbera environ 14 milliards, le reste du gaz étant exporté en Europe. La Turquie doit aussi devenir un lieu de transit afin de contourner les sanctions imposées par l’Union européenne contre la Russie. La partie immergée de ce gazoduc (tube n°1), longue de 930 kilomètres sous la mer Noire, est achevée le 20 novembre 2019. Elle relie le port russe d’Anapa au village turc côtier de Kiyiköy, non loin d’Istanbul.
Cette canalisation explique bien le rôle actif de la Turquie dans les processus de négociation et les tractations politiques en lien avec le conflit entre la Russie et l’Ukraine. L’enjeu de la stabilisation des marchés gaziers et de la réduction de la dépendance de la Russie envers les canalisations ukrainiennes devait être au coeur des échanges.
Le projet Nord Stream 2 : La seconde voie de contournement en mer Baltique.
Et le tristement célèbre projet Nord Stream 2. C’est en avril 2018 que débute le projet de gazoduc le plus litigieux, pour plusieurs pays d’Europe. L’Allemagne semble faire « cavalier seul » dans le cadre d’ententes bilatérales avec la Russie. Les travaux sur le gazoduc Nord Stream 2 ont pour but de doubler la capacité de transport du gaz par la mer vers l’Allemagne. Il est question ici d’un second gazoduc de 1 234 kilomètres de long reliant lui aussi la Russie à l’Allemagne toujours au fonds de la mer Baltique. La construction du pipeline est en quelque sorte la continuité de la ligne Nord Stream 1. Pour plusieurs pays européens l’Allemagne fait fi de la sécurité en Europe, elle voit à ses intérêts économiques de puissance industrielle d’Europe assoiffée de combustibles. Plusieurs pays de l’Union européenne considère que le fait de doubler la capacité annuelle d’exportation directe de la Russie vers l’Europe, à 110 milliards de mètres cubes est un levier pour une politique accru de chantage par Poutine. L’Allemagne semble plutôt voir cette politique comme une façon de contrôler l’agressivité politique de Poutine qui soutien activement le conflit armé dans l’est de l’Ukraine. Le controversé projet sera objet d’intenses confrontations diplomatiques entre l’Union Européenne, la Russie, l’Allemagne et de façon croissante avec les États-Unis.
C’est effectivement dans ce contexte de fortes tensions politiques suite à l’annexion de la Crimée, au conflit armé au Donbass et à l’attitude frondeuse continuelle de Vladimir Poutine que se situent la perspective de finalisation du projet Nord Stream 2. Les travaux seront interrompus en décembre 2019 du fait de l’opposition et des sanctions des États-Unis. Notons que c’est à ce moment précis que doivent se terminer les transits de gaz Russe par l’Ukraine. Dès décembre 2020, Donald Trump signe la loi votée par le congrès contraignant le président des États-Unis à adopter des sanctions contre les entreprises européennes qui participent au projet Nord Stream 2. L’opposition américaine au projet est devenue plus virulente. Cette seconde canalisation semble être la nouvelle ligne rouge à ne pas franchir dans le conflit. Les travaux reprennent tout de même en 2021 et seront pratiquement terminés en septembre cette année-là.
La position américaine migre vers la confrontation. En mars 2021 le nouveau chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, confirme la détermination du gouvernement de Joe Biden de contrer la finalisation du gazoduc. Il s’engage à respecter la loi promulguée par son prédécesseur Donald Trump pour sanctionner toutes les entités industrielles impliquées dans le chantier. Au mois de juillet de cette même année, le Département d’État des États-Unis annonce qu’un accord a été trouvé avec l’Allemagne afin de neutraliser la dimension géopolitique du gazoduc Nord Stream 2. Les États-Unis lèvent leur veto à l’achèvement du gazoduc, en échange d’un soutien déterminé à l’Ukraine pour la prolongation de dix ans de son contrat avec Moscou. Pour Moscou, ceci implique le paiement de redevances au gouvernement ukrainien pour dix ans encore, et le recours partiel à ses investissement dans les canalisations maritimes; des dizaines de milliards en investissements pour une infrastructure inutile. Le gazoduc oui, mais pas comme contournement de l’Ukraine, principal pays de transit du gaz russe. Et même malgré une telle entente peu convaincante pour les russes, les sanctions américaines se poursuivent.
Nord Streams 2, au coeur des tractations guerrières.
Le 10 septembre 2021, la Société russe Gazprom annonce l’achèvement de la construction du gazoduc Nord Stream 2. Dès le début d’octobre de cette année la société russe commence à remplir de gaz la première conduite du gazoduc Nord Stream 2. Les menaces américaines ouvertes envers l’imposant gazoduc russe débutent en décembre 2021. Le conseiller américain à la sécurité nationale Jake Sullivan déclare que les États-Unis sont prêts à utiliser le gazoduc Nord Stream 2 comme « levier » pour dissuader Moscou d’attaquer l’Ukraine : « Si Vladimir Poutine veut que le futur Nord Stream 2 transporte du gaz, il ne prendra peut-être pas le risque d’envahir l’Ukraine ». Une ligne réaffirmée le même jour par Joe Biden lors de son entretien par visioconférence avec le chef du Kremlin.
Les pays européens sont exaspérés par les pressions et le chantage politique russe continue. Pour plusieurs pays, Poutine impose sa volonté en utilisant le gaz comme levier de chantage. L’Ukraine est une voie de transit névralgique pour le gaz russe, surtout le Donbass. La Crimée est un accès à la mer permettant le contournement de l’Ukraine. Le transit du gaz russe est une composante critique de l’économie, tant de l’économie ukrainienne que l’économie russe. Les litiges entre les sociétés Gazprom et Naftogaz sont continus, et l’Ukraine aspire à plus de bénéfices avec ses infrastructures de transport du gaz et de stockage. Les assises de ce conflit regroupent toutes les caractéristiques d’une guerre économique. Le pays est le carrefour de plusieurs réseaux de gazoducs qui acheminent l’énergie de la Sibérie, de l’Oural et du Caucase russes vers l’Europe de l’ouest et les Balkans. L’Ukraine est un centre d’influence politique critique sur l’Europe, et dorénavant l’Union européenne en est bien consciente!
LA GUERRE DU GAZ EST LANCÉE.
C’est dans ce contexte de haute tension qu’est lancée l’offensive militaire russe en Ukraine. C’est vers la fin de l’année 2021 que l’on constate un imposant positionnement de troupes militaires russes aux frontières du pays. À la mi-février, suite à la reconnaissance par la Russie de l’indépendance de deux républiques autoproclamées en Ukraine ou se trouvent précisément les jonctions importantes des canalisations gazières; les sanctions occidentales se mettent en place. Le chancelier allemand Olaf Scholz suspend le processus de certification du projet de gazoduc Nord Stream 2 qui est pourtant terminé. C’est le 24 février 2022 que Vladimir Poutine lance officiellement son plan d’invasion à grande échelle de l’Ukraine. La Société Nord Stream 2 , propriété de Gazprom, annonce dès le premier mars le licenciement de tout son personnel et dépose son bilan. La guerre signe la fin technique de l’utilité économique de ces très coûteux méga gazoducs. Nord Stream 2 est devenu un immense gouffre financier, un immense projet gazier dorénavant mort dans l’oeuf. Des sanctions importantes sont imposées par l’Allemagne, l’Union européenne et les États-Unis en réaction à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Poutine aura risqué le tout, pour le tout. Il avait joué toutes ses cartes pour établir son pouvoir économique et énergétique sur l’Europe, mais rien n’y fait!
Comprendre la géopolitique du gaz, clarifie les événements.
Fait tout de même assez surprenant lorsqu’on analyse les enjeux gaziers en sol européen qui ont précédé le conflit. Lorsqu’on regarde le rôle de l’agresseur sur le marché gazier la Russie, et le rôle de l’agressé l’Ukraine dans le transport du gaz; tout prend son sens. On comprend l’importance critique de la Crimée, du Donbass, de la destruction des pipelines et de nombre d’autres actes de chantage et de guerre. On comprend beaucoup mieux ce qui se passe, mais on comprends mieux l’adversaire, son comportement et ses objectifs.
L’analyse des canalisations de combustibles fossiles, surtout les gazoducs aide à comprendre le pourquoi des choses. Pourquoi des acteurs comme la Chine, la Turquie, l’Allemagne et d’autres pays européens tentent de se positionner comme médiateurs, modérateurs? Voire même porteurs de solutions au conflit? Pourquoi les combats font-ils rage dans l’Est; ou est concentrée la population russophone? Mais c’est aussi ou se localisent les jonctions des canalisations.
L’enjeux du gaz à lui seul n’explique pas tout, mais il est impossible de suivre le fil des événements sans le connaître.
L’essentiel des informations utilisées pour ce texte provient de sources officielles, entre autres :
Le site de la Société Russe Gazprom
Le site de la Société Ukrainienne Naftogaz
Le site et les rapports récents de l’Agence Internationale de l’énergie
L’agence d’information sur l’Énergie des États Unis
La Commission européenne division Énergie.
Les cartes de la cartothèque du Monde Diplomatique
Image 1 Cartographie « Le Monde Diplomatique »
Image 2 Cartographie « Le Monde Diplomatique »
Image 3 Al Jazeera état du terrain en Ukraine février 2023
Image 4 Wikipedia The Free Encyclopedia.
Image 5 Gazprom réseau gazier d’Ukraine.
Image 6 Kyiv Post publicité Naftogaz
Image 7 Research gate