URGENCE CLIMAT : SOMMES-NOUS PRÊTS?

Le 25 mai dernier, Sophie Brochu, la présidente et cheffe de la direction d’Hydro-Québec, s’est rendue en personne dans la forêt de Morin-Heights, dans les Laurentides, pour constater les dégâts et faire le point avec les médias sur une puissante tempête de vent.

Elle s’exprimait ainsi : « La zone frappée a été très grande, 100 kilomètres par 300 kilomètres. En trois, quatre heures, on a perdu un demi-million de clients, une affaire de fou. Depuis le verglas (de 1998), c’est pas mal ce qui nous est arrivé de plus important et de plus costaud. »

Le souvenir de ce « derecho » de mai est encore frais dans la tête, et des centaines de résidents de Saint-Adolphe-d’Howard le village voisin, dans les Laurentides.  Puis à nouveau, le samedi 23 juillet au soir, ils ont à nouveau « la frousse de leur vie » lorsqu’une brève, mais puissante tornade arrache la forêt tout autour de leurs résidences.  Ces coups du climat sont de plus en plus fréquents.

De toute évidence, les phénomènes de catastrophes naturelles extrêmes se multiplient, et nous forcent à poser de nombreuses questions.  Comment assister les citoyens qui subissent l’impact de ces puissants aléas qui ébranlent leur vie quotidienne pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines?  Est-il normal que nos communautés puissent se retrouver pendant de longues périodes sans approvisionnement énergétique?  Ces infrastructures critiques sont-elles trop vulnérables?

Tout récemment, à l’Anse-au-Griffon, une trentaine de citoyens se sont mobilisés pour assister au conseil municipal de Gaspé.  Interpellant le maire Daniel Côté, aussi président de l’UMQ, ils ont demandé la transformation de leur église abandonnée en centre communautaire et en lieu de refuge temporaire sécuritaire.  La petite communauté côtière gaspésienne se sent de plus en plus vulnérable face aux tempêtes d’hiver qui frappent avec puissance les côtes.

Nous y sommes.

Les municipalités sont interpellées par les citoyens qui demandent d’être mieux protégés face aux bouleversements climatiques.  Nous ne pourrions imaginer aujourd’hui une municipalité sans service d’incendie ou sans service téléphonique d’urgence comme le 911.  Sous peu, il sera impossible d’imaginer une municipalité sans refuge communautaire sécuritaire pour sa population et sans un approvisionnement électrique de sécurité, local et autonome.  Les municipalités sont dorénavant aux toutes premières loges de la crise climatique.

Mais en ont-elles les moyens?  Depuis des décennies maintenant les municipalités revendiquent de nouvelles sources de revenus récurrents et autonomes.  On déplore la dangereuse dépendance envers la taxation foncière qui favorise l’étalement urbain, détruisant terres agricoles et zones forestières. Les instances municipales voient la gamme de services indispensables à la population et les charges s’accroître.   Mais les revenus servant à faire face aux défis de leur communauté restent les mêmes.  Et si l’électrification et la sortie des émissions de GES était cette « planche de salut financière » tant espérée ?

Depuis des décennies maintenant Hydro-Québec utilise les territoires municipaux pour ses infrastructures de production, de transport et de distribution.  Il est maintenant temps que les municipalités tirent des bénéfices des ces servitudes concédées.  Au tournant des années 2 000, les paroisses catholiques qui étaient au cœur de la vie communautaire, elles bénéficiaient d’une tarification électrique préférentielle.  Ce bénéfice a été retiré par Hydro-Québec qui envisageait la fin des surplus de production.  En compensation on a offert la bi-énergie (gaz, mazout) et des plans d’efficience énergétique afin de réduire l’impact de l’accroissement des coûts de chauffage.  L’impact de ce choix politique sur nos communautés fut majeur, propulsant des déficits croissants pour les paroisses.  Notre actif patrimonial bâti s’est détérioré depuis, menant à l’abandon, voire même à la destruction de pans importants de ce riche patrimoine culturel. 

Le gouvernement Legault, en vue du rendez-vous électoral prochain, a annoncé des investissements de 24 millions pour 103 projets de sauvegarde de bâtiments, un montant qui ne suffirait à requalifier qu’une seule de nos grandes églises en pierre du Centre-ville de Montréal.  La sauvegarde ou la disposition de ce patrimoine abandonné par l’État est devenue un problème croissant pour les municipalités.  Ne serait-il pas temps d’envisager le grand retour de la tarification électrique préférentielle dans nos communautés? Un soutien permettant à nos municipalités et MRCs qui ont permis l’émergence de notre société d’État, de prendre rapidement le grand virage nécessaire vers l’électrification?

Retour d’une tarification préférentielle vers nos communautés.

La réduction des GES par une accélération de l’électrification de nos communautés justifierait amplement une tarification privilégiée.   Les impératifs climatiques imposent un vaste chantier sur l’étendue du territoire québécois, et les municipalités doivent en devenir des acteurs.  Hydro-Québec a bâti la charpente d’un vaste système de transport et de distribution électrique, un véritable joyau pour les québécois.  Le maintien de cette macro-infrastructure est un imposant mandat qui a suffi à la Société d’État jusqu’à ce jour.  Les voies de petites productions décentralisées ont été externalisées car la structure du monopole de l’hydroélectricité ne permettait pas une micro-gestion efficace.  Ainsi, on a vu les petits barrages, les projets de parcs éoliens et les projets de centrales solaires se privatiser.  Par contre, ces formes de production localisées, et l’implantation de la géothermie tardent à se développer et n’en sont qu’à leur premiers balbutiements.   Les bas coûts de l’électricité patrimoniale et le « dumping » américain du gaz de schiste sur notre marché piloté par les monopoles TC Energy (transport) et Energir (distribution), retardent indument l’émergence de ces énergies durables.    Sur des assises de profit privé dans desentreprises comme Boralex, Innergex, EDF et autres, les énergies électriques renouvelables et les technologies d’efficacité énergétique n’ont pas pu prendre leur envol au Québec, et restent à la remorque du financement public.  Le virage abrupt, mais nécessaire vers l’électrification se fait donc toujours attendre.

Une municipalisation des petites infrastructures de production d’électricité renouvelable serait une source de revenus directs pour les villes et villages.  La démarche consisterait à transférer des centaines d’actifs détenus par le privé (petits barrages, parcs éoliens, centrales solaires, installations de biométhanisation (GNR)…) vers nos instances municipales et MRCs.  L’implantation de micro-réseaux intelligents municipaux et la généralisation du modèle des actuels redistributeurs électriques, simplifierait considérablement la gestion des micro-productions, échanges des puissance et systèmes de stockage d’énergie.  Les municipalités propriétaire de petites installations électriques de production, utilisant une tarification préférentielle et gérant des micro réseaux intelligents génèreraient leur revenus de façon autonome.  Ainsi elles bénéficieraient directement de l’accroissement des services électriques de transport, de production alimentaire en serre et de réduction de la consommation énergétique par la géothermie.  Le remplacement de la taxation foncière par les revenus associés à une électrification accélérée ne serait qu’une question de temps grâce, aux bénéfices engendrés par la tarification préférentielle.  Notons ici qu’il est peu probable que les microréseaux intègrent les grands consommateurs.   Le modèle d’affaire au cœur des revenus d’Hydro-Québec ne serait que marginalement affecté.  Cette nouvelle avenue de financement municipal existe bel et bien.

De l’énergie propre au cœur de nos villes et villages.

Avec les chocs climatiques, la dépendance envers des infrastructures de distribution vulnérables et centralisées devient un problème.  Le grand réseau de transport et de distribution est de plus en plus vulnérable et coûterait une fortune à sécuriser.  Les chaînes d’approvisionnement mondialisées d’hydrocarbures (gaz et pétrole) sont des voies incertaines comme le découvre douloureusement l’Europe avec la guerre en Ukraine.  La micro-production de proximité et l’implantation de micro-réseaux municipalisés, aussi autonomes que possible, devient de façon évidente la voie d’approvisionnement sécuritaire à suivre. 

Une décentralisation de moyens de production devient aussi la voie pour éviter la construction de nouveaux méga-barrages, trop destructeurs et coûteux.  De plus, cette avenue devient aussi la voie par excellence pour se sortir rapidement de l’utilisation des hydrocarbures en mobilisant l’étendue de la société québécoise.  En ce sens, le nouveau partenariat Hydro-Québec – Energir est à condamner fermement car il menotterait le Québec dans une dépendance prolongée au gaz de schiste américain.   Notre Société d’État par une telle orientation politique perpétue ainsi notre dépendance envers la combustion. Elle prolonge notre dépendance envers l’importation d’hydrocarbures qui plombent notre balance commerciale et menace l’avenir des générations futures.  On se demande quelle logique tordue mène à une telle orientation qui ne favorise que les intérêts de l’industrie gazière canadienne.

Et si nos églises, notre patrimoine religieux devenaient un point de départ ?  Au lieu de se contenter de payer pour éviter une plus grande détérioration des bâtiments, on pourrait en faire de véritables lieux de refuge sécuritaires temporaires pour la population.  Par la consolidation des bâtiments, l’implantation de la géothermie et la mise à niveau des facilités sanitaires; on stabiliserait ces actifs.  Situées au cœur de nos villages et quartiers, les églises sont le lieu par excellence pour devenir des stations de recharge, et des pôles multimodaux de transport en commun et de partage de véhicules individuels électriques.  L’implantation de centres de télétravail et de pôles agroalimentaires au cœur de nos villages dans de vases bâtiments communautaires constitue la voie accélérée de réduction des émissions de GES par le transport.  Nos églises pourraient devenir des points d’engagement communautaire dans la lutte contre les changements climatiques avec l’appui de nos municipalités et quartiers.  On y installerait probablement des centres de contrôle pour les micro-réseaux électriques intelligents, et quelques structures de production autonomes approvisionnant le cœur de nos communautés.  Pourquoi pas?

Le temps est venu d’agir!

Nous vivons présentement les plus grands défis auxquels l’humanité aura à faire face.  Nous devons entrer en mode « solution » et trouver les voies rapides et concrètes pour agir.  Le grand virage vers l’électrification par les énergies renouvelables est urgent.  On doit mettre un frein à la dépendance des municipalités envers la taxation foncière.  La municipalisation des petites productions répond aussi aux nouveaux impératifs de sécurité que nous impose la nouvelle réalité climatique.

À raison, les populations se sentent de plus en plus vulnérables.  Elles constatent la précarisation des approvisionnement énergétique et alimentaire et voient les aléas climatiques accroître en fréquence et en intensité.  Elles demandent la protection et s’adressent de plus en plus aux autorités municipales.  D’imposants bâtiments communautaires existent, ont été hypothéqués par négligence et doivent être conservés.   Ces églises ont tout pour servir de lieux de refuge et de résilience communautaire comme point de départ d’une action systématique de préparation et de lutte aux perturbations climatiques.  Tout est en place pour agir!  Il ne reste qu’à passer à l’action.  Qu’attendons-nous pour faire ces premiers pas ?