Occupons Wall Street :Le mouvement est là pour rester (éditorial)

Personne n’aurait imaginé que les années 80 seraient marquées par un thème n’ayant aucun rapport avec l’inflation et le chômage, le bouleversement de l’économie mondiale et l’endettement sans précédents de continents entiers, encore moins qu’elles seraient lourdes d’une lutte qui surpasse toutes celles de l’après-guerre et s’apparenterait aux nouveaux mouvements sociaux. -Z. Hegedus, Sociologue
Le 10 octobre 1981, 300 000 personnes ont manifesté dans les rues de Bonn contre l’installation des missiles Pershing II en Allemagne de l’Ouest. Quelques semaines plus tard, un mouvement de pacifistes opposés au déploiement de missiles à portée intermédiaire en Europe de l’Ouest a déferlé sur Rome, Londres, Madrid,  Copenhague, Milan et Amsterdam.
Partout, les masses humaines ont continué de s’agrandir, les actions de désobéissance civile non-violente  de se multiplier. Des milliers de protestataires étaient arrachés aux foules par les Forces de l’ordre et transportés par fourgons entiers dans des prisons européennes. Mais, aussitôt sortis de prison, ils retournaient prendre part aux manifestations et s’agréger au tapis humain qui ne cessait de s’étendre.

Sceptiques, comme toujours, et n’anticipant que « quelques événements éphémères de pacifistes illuminés », les médias de masse ont eu à couvrir un vaste mouvement qui restera gravée dans la mémoire de tous.

Occupation de Greenham Common (Photo: domaine public)

Occupation de Greenham Common (Photo: domaine public)

Les femmes de Greenham Common en Angleterre occuperont la périphérie de la base militaire pendant plusieurs années pour être évincées en 1984.  Les mouvements  de masse se poursuivront jusqu’au milieu des années 80, en Europe et en Amérique du Nord, au grand désarroi des pouvoirs politiques et militaires.

Le projet débile de Ronald Reagan de déployer des missiles en Europe pour une guerre nucléaire limitée au théâtre européen ne fut jamais complètement réalisé.

Les masses ne se sont pas mobilisées contre la faim ou contre la répression, mais contre l’imminence d’un désastre, résultat d’un militarisme obtus des chefs politiques et militaires de l’époque.

Depuis, les masses se sont soulevées à maintes reprises. En Europe de l’Est pour faire tomber le mur de Berlin, dans de nombreux pays d’Amérique latine pour faire chuter  les dictatures des généraux, dans le monde arabe pour renverser des autocraties répressives.  Et la série ne peut que continuer.

Les «indignés»

Dans le sud de l’Europe, le mouvement carbure présentement à l’indignation. Les citoyens n’ont plus confiance dans le système de gestion ayant conduit leurs pays au bord de la faillite et imposant  maintenant des plans d’austérité à l’instar de ceux que l’on n’imposait qu’à des pays sous-développés.

En Amérique du Nord, l’essence des manifestations se situe aujourd’hui à un tout autre niveau. Aux États-Unis, les occupants  se font les porte-voix de millions de personnes qui ont tout perdu : emploi, maison et statut social. Et ce n’est pas tout.

À en croire la Fondation David Suzuki, «une étude réalisée aux États-Unis par l’Economic Policy Institute démontre que 80% de la croissance de la richesse entre 1983 et 2009 sont allés aux 5% des Américains les plus riches. Le 1% des Américains les plus riches a accaparé 40% de la richesse créée sur cette période. 60% de la population des États-Unis se sont collectivement appauvris de 7,5% sur la même période. Pire encore : selon le Census Bureau des États-Unis, le salaire médian d’un américain était de 47 715 $ en 2010. En 1972, il était de : 47 550 $! »

Manifestation au Québec des 99% indignés (Photo: domaine public)

Manifestation au Québec des 99% indignés (Photo: domaine public)

Au Québec, les citoyens cherchent en vain le fruit de la croissance économique. L’endettement est la seule façon qu’ils ont trouvée de maintenir leur niveau de vie.  Selon le Centre canadien de politiques alternatives, les inégalités n’ont cessé de croître entre 1976 et 2006.  En fait, comparativement à celles de la génération précédente, 70% des familles du Québec d’aujourd’hui reçoivent une plus petite part de l’ensemble des revenus de la province.

« Les Québécois.e.s ont travaillé plus et l’économie a crû de 71% (…), mais tout le monde n’en a pas tiré les mêmes bénéfices. La part du lion revient aux 10% les plus riches».

Bref, la désillusion mène déjà au désespoir et mobilise les populations. Si des millions de gens ont manifesté, indifférents aux arrestations, pour protester contre le déploiement de missiles pendant plusieurs années, il serait tout à fait surprenant que ceux qui se sentent floués par leurs systèmes politique et économique se démobilisent au premier geste de répression.

Il est plutôt normal de s’attendre à ce que ces mouvements renforcent des groupes d’affinité dont l’action pourra se poursuivre jusqu’à ce qu’ils obtiennent gain de cause.