L’accompagnement: une histoire

J’ai dû fouiller ma mémoire pour écrire cet article. Plus de quinze ans sont passés… Les détails s’estompent, il ne reste que quelques souvenirs, quelques sensations et certains détails. Je suis partie pour le Guatemala en janvier 1991 avec tout l’idéalisme dont j’étais capable. J’allais accompagner des personnes et des membres d’organismes dont les droits humains étaient menacés.

L’histoire a débuté avec ma décision de m’impliquer au sein du comité Brigades de paix internationales (B.P.I.) de  Montréal. Peu à peu l’idée de devenir accompagnatrice a germé dans ma tête et puis les gestes et les actions ont suivi. À l’automne 1990, j’avais amassé suffisamment d’argent provenant de dons pour payer mon séjour là-bas, car B.P.I. ne défrayait que le logement, la nourriture et le transport local. Ce séjour au Guatemala fut mon premier contact avec le Sud et ses réalités. Le projet B.P.I. Guatemala existait depuis les années 80. Je suis arrivée dans une période de changement politique; des élections avaient porté au pouvoir Jorge Serrano Elias.

J’ai découvert un pays meurtri par la guerre civile, avec une forte identité autochtone cependant victime d’une terrible répression. J’ai dû comprendre ou essayer de comprendre en peu de temps la complexité de la situation politique et du travail de B.P.I dans ce pays. AccompagnateursTRICES, dans un pays en guerre civile, nous étions sur la corde raide.

Quelques mois auparavant, trois membres des B.P.I. dont un Montréalais, avaient été victimes d’une attaque au couteau dans la rue. Ils revenaient à la maison de Brigades de Paix après avoir accompagné un groupe.

Les membres de B.P.I. multipliaient les rendez-vous diplomatiques afin d’assurer leur présence. Plusieurs pays de l’hémisphère nord étaient représentés au sein de notre équipe. En fait, les membres venaient des États-Unis, de l’Allemagne, de l’Italie, de la France, de la Suisse, de l’Espagne et je provenais du Québec. De plus, les B.P.I. avaient décidé de déménager dans un endroit plus sécuritaire après l’attentat. L’édifice de trois étages se trouvait dans un quartier assez tranquille tout près du centre- ville. Tous ensemble, nous vivions dans cette maison. Nous partagions notre temps entre les accompagnements, les réunions et la rédaction du bulletin.

La maison foisonnait de vie multiculturelle et les soupers étaient l’occasion de retrouvailles et d’échange afin d’évacuer le stress constant auquel nous étions soumis.  Chaque jour, nous recevions des nouvelles consternantes au sujet d’abus des droits fondamentaux. La situation politique était notre principal sujet de conversation.

Les B.P.I. se définissent comme membres d’un groupe neutre et non-violent dont l’action tire sa source des brigades de paix telles que définies par Gandhi. Sur le terrain, la neutralité et la non-violence se traduisent par l’accompagnement de groupes et de personnes qui sont victimes d’abus des droits fondamentaux et qui ont choisi la résistance pacifique. Jamais les B.P.I. n’ont fait d’activisme politique et, jamais elles n’ont soutenu d’actions de groupes révolutionnaires et ce, dans aucun pays où se déroulait un projet.

Mais, pouvaient-elles être ainsi perçues ?

Concrètement, nous accompagnions des groupes comme le G.A.M. (Grupo de apoyo mutuo) qui recherchaient les  personnes disparues ou enlevées arbitrairement, comme le CERJ (Comunidades Etnicas Runuel Junam) qui oeuvre pour la défense des droits des populations autochtones. Souvent, nous recevions, directement à la maison, des demandes d’organismes et de personnes. Durant mon court séjour au Guatemala, je me souviens d’avoir assuré une présence internationale dans un hôpital de campagne auprès d’un homme parce qu’il avait été fusillé par des membres des PACS (patrouilles de défense civile : groupe formé par les militaires dans les villages afin d’assurer un certain « contrôle »). Le motif de la fusillade : son implication avec le CERJ. Je me souviens de  cette marche dans la montagne vers un village perdu, Parraxtut et d’avoir accompagné Magdalena et sa fillette âgée de quatre ans vers la capitale afin de témoigner auprès de Christian Tomuschat des Nations Unies, des sévices dont étaient victimes les membres des CPR (communautés qui avaient fui la répression violente dans les années 1980 et avaient reconstruit des villages dans la forêt, hors de  l’atteinte des patrouilles militaires). Je me souviens des propos du traducteur qui était avec nous, car Magdalena ne parlait que Quiché. Il nous racontait les histoires d’horreurs qui avaient parsemé notre chemin, il nous parlait de massacres et de violence. Mais je me souviens surtout de la finca Olga Maria sur la côte pacifique où une paysanne reçut une balle en plein front pour avoir voulu reconquérir son lopin de terre avec une soixantaine de paysans. Cette terre avait été vendue à un spéculateur foncier sans tenir compte des droits des paysans. J’étais là, témoin oculaire, avec un autre membre de l’équipe lorsque les policiers antiémeutes ont tiré sur les paysans.

Après cet incident, j’ai quitté précipitamment le Guatemala parce que ma sécurité était en jeu. En effet, des paramilitaires surveillaient la maison et des nouvelles parues dans des journaux traitaient l’équipe de B.P.I. de terroristes et de communistes. J’étais partie pour six mois; je dus revenir, contre ma volonté, seulement après deux mois.

Que me reste-t-il de cette expérience qui fut, somme toute, brève ? Des gestes de solidarité de Guatémaltèques, des sourires, mais surtout de la reconnaissance. Après l’épisode la finca Olga Maria, j’ai beaucoup questionné le travail des Brigades de paix, mais un téléphone-surprise m’a redonné espoir et confiance. Un dirigeant que j’avais connu lors de l’occupation de la finca avait immigré à Toronto et m’avait appelé pour me témoigner sa reconnaissance, car sans la présence de B.P.I. sur les lieux, un massacre aurait eu lieu.