La sécurité commune

Écrit par Consultation citoyenne

Au moment ou les québécois demandent une enquête publique sur la construction, il est intéressant de savoir que les citoyens canadiens intéressés par les questions de sécurité ont déjà conduit, de leur propre initiative, des enquêtes publiques.

Ce texte a été produit il y a maintenant plus de vingt ans, suite à une consultation canadienne sur les questions de sécurité. Ces conclusion quasi prophétiques sont publiées suite à la chute du Mur de Berlin et à la Guerre du Golfe Persique;  avant le terrible génocide du Rwanda, les Événements du 11 septembre, l’ouragan Katrina et les autres événements qui ont ébranlés la sécurité des populations mondiales.

L’Enquête populaire sur la paix et la sécurité, une enquête citoyenne bénévole a reçu 600 soumissions, s’est déplacée dans toutes les provinces et territoires consultant plusieurs centaines de canadiens intéressés par les questions de paix et de sécurité avec un budget total de 120 000 $ provenant essentiellement de dons privés.  Un véritable exploit…

Comme l’affirmait en 1992 l’enquête populaire canadienne sur la sécurité conduite par des organismes citoyens à travers le pays; ce n’est pas d’une politique de défense que le Canada a besoin, mais d’une véritable politique de sécurité.

Les événements des deux dernières décennies confirment qu’une telle politique canadienne de sécurité doit être élaborée à partir de principes de sécurité commune:

• La sécurité des citoyens est multiple : Cette politique canadienne doit aborder tous les aspects de la sécurité et garantir, dans le présent comme dans le futur de combler les besoins fondamentaux des citoyens : nourriture, abris, soins médicaux, éducation, droits de la personne, harmonie sociale, paix, ainsi qu’un environnement naturel dans un état acceptable.

• La sécurité est mutuelle: la sécurité canadienne dépend de la sécurité des autres États et de toute l’humanité, personne ne peut être en sécurité s’il y en a parmi nous qui ne le sont pas.

• La sécurité est le résultat d’une action commune: le Canada ne peut pas travailler pour sa sécurité sans tenir compte des efforts du reste du monde seuls des efforts conjoints peuvent s’attaquer efficacement aux menaces qui s’opposent à la sécurité canadienne et mondiale.

Le développement et la sécurité économique mondiale

Les gouvernements canadiens doivent reconnaitre qu’une justice sociale et économique, ainsi qu’un environnement acceptable, sont essentiels pour que règne une véritable sécurité économique au Canada et partout dans le monde. Le Canada doit promouvoir cette nouvelle conception de la sécurité économique à l’échelle mondiale.
Le Canada devrait, dans sa propre économie, faire preuve d’une attitude responsable à l’égard des problèmes sociaux et environnementaux, prendre l’initiative et l’exonération de la dette des pays moins développés et diriger les efforts visant à créer un nouvel ordre économique  international plus juste et plus acceptable.  Le progrès économique est la clé du contrôle de la population mondiale, il devrait être une priorité de ses activités de développement. L’égalité pour les femmes et une meilleure sécurité tant économique que sociale constituent des éléments clés pour élaborer des politiques de contrôle de la population efficaces.

La sécurité environnementale

Le Canada doit jouer un rôle décisif dans la création des institutions mondiales et dans l’élaboration des accords  visant à contrôler, étudier, réglementer, protéger et restaurer l’environnement de notre planète. Il devrait accompagner son action d’une aide financière importante ciblant en priorité les pays qui manquent de ressources pour agir.  Le Canada devrait faire de la protection de l’environnement une priorité nationale et mettre en place les instruments légaux, institutionnels ainsi que les programmes qui permettraient de protéger et de restaurer l’environnement canadien et de construire une économie canadienne et mondiale acceptable pour l’environnement.  Les ressources naturelles resteront toujours la base de la richesse du pays, leur exploitation durable a toujours été et restera l’assise principale du développement économique du pays.

Le Canada devrait arrêter de vendre des réacteurs nucléaires, cesser graduellement l’exploitation des mines d’uranium et l’exportation d’uranium. Il devrait également utiliser les fonds qu’il alloue au domaine nucléaire pour mettre au point des techniques qui permettraient de protéger l’environnement, de réduire la consommation énergétique et de trouver d’autres formes d’énergie moins dangereuses pour la sécurité mondiale.

La sécurité sociale et politique

Les gouvernements canadiens, à tous les niveaux, doivent reconnaitre qu’une plus grande démocratie est nécessaire au Canada et partout dans le monde, y compris en ce qui concerne les institutions  gouvernementales mondiales. Ils doivent agir en conséquence pour appuyer cette démocratisation.

Il est nécessaire que les gouvernements canadiens maintiennent et développent leurs programmes visant à éliminer la pauvreté, s’assurent que les besoins fondamentaux de tous les canadiens soient satisfaits et améliorent la justice sociale et économique au Canada. Il incombe aux gouvernements de travailler à créer une économie saine. Ils ont aussi la responsabilité de s’assurer que des raisons de compétitivité ne puissent remettre en question les programmes pour la justice sociale et économique (ou les programmes environnementaux).

Les gouvernements canadiens, et tous les Canadiens et Canadiennes, doivent s’engager à ce que les femmes jouissent d’une pleine égalité dans les domaines  politiques, sociaux et économiques. Ils doivent également agir pour mettre un terme à la  discrimination systématique dont sont victimes les femmes dans tous ces domaines. L’ampleur du harcèlement sexuel et de la violence envers les femmes est particulièrement inquiétante. On demande aux gouvernements, ainsi qu’aux individus, d’agir  immédiatement pour « délégitimer »  une telle  violence, aider et protéger les personnes qui en sont victimes et arrêter les coupables.

Les gouvernements canadiens et l’ensemble des Canadiens doivent reconnaitre le droit inhérent des Premières nations à l’autodétermination et à l’autonomie, respecter leur désir légitime de préserver et promouvoir leurs propres sociétés et être prêts à partager ce pays avec les autochtones en vivant ensemble et égaux.  Les Premières nations doivent avoir le droit de veto en ce qui concerne tout projet de développement sur leurs terres et leurs eaux traditionnelles.

Les citoyens canadiens doivent accepter la responsabilité de créer une société juste et compatissante.  Les gouvernements canadiens, quant à eux, devraient soutenir activement la création de groupes de citoyens et de groupes communautaires afin de développer des programmes d’éducation dans les écoles et dans les communautés, qui aideraient les Canadiens à s’impliquer pour construire une société meilleure.

La prévention et la résolution des conflits

Le Canada doit appuyer la proposition d’une commission indépendante sur les institutions gouvernementales mondiales qui mènerait à un sommet mondial pour examiner les mesures à mettre en œuvre pour initier une réforme et une amélioration des Nations Unies, des structures juridiques internationales et autres institutions gouvernementales mondiales. En attendant, le Canada devrait travailler pour améliorer le fonctionnement des Nations Unies, notamment en renforçant le rôle du secrétaire général, procédant à des réformes administratives, en encourageant une meilleure représentation des femmes et des minorités, y compris des peuples autochtones dans les organismes et les programmes de l’ONU; enfin, en s’assurant que la Charte des Nations Urnes est respectée.

Le Canada devrait participer à des opérations militaires en dehors de son territoire, seulement dans le cadre des Nations Unies, en respectant la Charte des Nations Unies. Les Nations Unies devraient avoir recours à la force uniquement en dernier ressort, après avoir essayé et épuisé toutes les autres possibilités non-militaires, et seulement s’il y a des chances raisonnables pour qu’une intervention militaire fasse plus de bien que de mal.

Le Canada devrait œuvrer pour le développement de la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe et pour la création et/ou le développement des organisations de sécurité régionales dans le Pacifique Nord et dans l’Arctique. Il ne devrait pas prendre d’engagement militaire que dans le cadre de ces organisations. Le Canada devrait exiger deux conditions pour rester membre de l’OTAN: que l’OTAN permette à tous les membres de l’Organisation pour  la sécurité et la coopération en Europe qui le désirent d’être membres à part entière et que tous les membres de l’OTAN s’engagent à ne pas faire usage ou déclencher un conflit nucléaire.

Le Canada devrait faire preuve de plus d’indépendance et d’initiative pour soutenir le contrôle des armes et les mesures en faveur du désarmement ainsi que la création d’un bureau de vérification du transfert des armes des Nations Unies ayant les ressources pour agir de façon préventive. Les informations sur la transfert d’armes devrait être public, à la vue de tous grâce à des mécanismes de vérification et de communications éprouvés. Le Canada devrait notamment appuyer:

• une interdiction totale et immédiate des essais nucléaires et demander une suppression totale des armes nucléaires dès que possible;

• l’élimination des autres armes de destruction de masse (armes chimiques et biologiques);

• les efforts vers un désarmement mondial général et total;

• le contrôle des armes navales et la démilitarisation des mers;

• des limitations strictes en matière de transferts internationaux d’armes;

• enfin la création d’une réglementation plus efficace pour contrer la prolifération d’armes nucléaires.

Le Canada devrait s’assurer d’être cohérent, de ne pas contrecarrer sa volonté de contrôler l’armement par ses actes. Des initiatives appropriées au niveau national comprendraient : la création d’une zone canadienne exempte d’armes nucléaires; la suppression des essais de missiles de croisière ainsi que de l’entrainement des bombardiers et des chasseurs bombardiers au Canada; l’interdiction de la vente d’armes à l’étranger par le Canada et un terme à la participation du gouvernement canadien à l’exposition commerciale d’équipements militaires ARMX.

Les Forces armées canadiennes

Le Canada devrait promouvoir activement le recours à des opérations de maintien de la paix dans le cadre des Nations Unies à des fins militaires et non-militaires, faire que la participation à de telles opérations soit une des missions prioritaires des Forces canadiennes, augmenter le personnel militaire et civil disponible pour ces opérations. Le gouvernement canadien devrait appuyer la création d’une force de maintien de la paix des Nations Unies permanente et y affecter en permanence une partie de ses forces armées. En réponse à la demande des Nations Unies, qui désirent que l’on institutionnalise l’entraînement des forces œuvrant pour le maintien de la paix, le Canada devrait offrir sur son  territoire un centre d’entrainement au service du personnel militaire et civil, canadien et étranger.

Le Canada devrait être prêt à envoyer des forces armées pour participer aux opérations militaires  coercitives dûment autorisées par les Nations Unies, dans les rares occasions où cela peut se faire. Les forces qu’il serait prêt à mettre à la disposition de telles opérations devraient être limitées en ce qui concerne leur taille et leur type, compatibles avec les exigences normales de la sécurité  canadienne et réalisables dans le cadre des autres exigences canadienne en matière de sécurité.

Le Canada devrait dissoudre bon nombre des unités militaires affectées en Europe et réduire la taille de ses forces navales assignées à des opérations anti-sous-marines dans le cadre de l’OTAN.

Les Forces canadiennes assignées aux patrouilles côtières et aériennes, ainsi qu’aux opérations de  recherche et de sauvetage, devraient être maintenues et équipés de façon satisfaisante pour assumer ces fonctions.

Le Canada devrait s’opposer à la mise au point de moyens de défense reposant sur des engins balistiques  et de moyens de défense complémentaires basés sur l’utilisation de bombardiers et de missiles de croisière. II devrait reprendre le contrôle de ses forces de patrouilles aériennes. Il devrait négocier  avec les États-Unis un accord afin de partager les informations de pré- alerte. De plus, le Canada  devrait tenter de négocier un accord similaire avec les États qui constituaient l’ancienne Union soviétique et les autres États nordiques.

Les Forces canadiennes devraient participer plus souvent aux opérations de secours menées dans le cadre de catastrophes, aux opérations d’aide humanitaire et d’assainissement de l’environnement, au Canada comme à l’étranger. Il se peut qu’une formation et des équipements supplémentaires soient nécessaires pour assumer ce rôle, mais les moyens dont disposent les Forces canadiennes devraient en grande partie suffire.

Les Forces armées canadiennes ne devraient pouvoir utiliser, ou menacer d’utiliser, une force Meurtrière que pour leur autodéfense ou pour défendre la vie d’autrui. Les litiges se rapportant aux problèmes d’autodétermination, tels que les événements de Kahnawake et de Kanesatake en 1990 (et hypothétiquement l’indépendance du Québec) ne doivent pas être résolus par la force, mais par la négociation, la médiation internationale ou par des décisions légales internationales et l’on devrait envisager, si nécessaire, d’utiliser en attendant  les forces de maintien de la paix de l’ONU.

Le budget militaire canadien devrait être déterminé la façon à permettre à l’armée d’exercer les fonctions limitées qui lui incombent, tout en ne surimposant pas les Canadiens et les Canadiennes et en donnant la priorité aux autres aspects plus critiques de la sécurité.

Le Canada devrait entreprendre une étude sur la reconversion économique qui s’adresserait aux gouvernements, communautés, industries, syndicats et personnes et où l’on envisagerait à la fois une réduction de l’industrie militaire et la fermeture de bases. Un préavis d’au moins trois ans serait  nécessaire pour  les fermetures de bases militaires prévues et iI faudrait également offrir au personnel de ces bases, et aux résidents des communautés affectées, des services de conseil et de soutien ainsi qu’un programme d’adaptation et de réinstallation.

L’institutionnalisation au sein du gouvernement canadien de l’élaboration d’une politique sur la sécurité

Le gouvernement canadien devrait instaurer un Comité interministériel pour la sécurité commune et un Secrétariat appuyant la sécurité commune au sein du bureau du Conseil privé pour coordonner et revoir la politique sociale, économique, environnementale et militaire du gouvernement (notamment des domaines traditionnellement négligés tels que le statut de la femme) au niveau national et  international, examiner les relations existant entre les unes et les autres, enfin informer et conseiller le Cabinet.

De plus, le gouvernement devrait nommer le secrétariat d’État aux Affaires extérieures et au commerce extérieur responsable des activités canadiennes au niveau international et responsable devant le Parlement de toutes ces questions,  il devrait aussi nommer l’Agence canadienne de développement international et les portefeuilles de la Défense nationale ministères délégués sous la direction du secrétariat d’État aux Affaires extérieures.

Des réformes parlementaires devraient être effectuées afin de démocratiser la politique canadienne en matière d’affaires étrangères et de défense, notamment les changements minimaux nécessaires pour garantir que: toute mise en service actif des Forces canadiennes nécessite un accord du Parlement dans les dix jours; tous les traités (bilatéraux et multilatéraux) conclus par le Canada doivent être approuvés par le Parlement avant de prendre effet; enfin, tous les accords en matière de sécurité collective, qu’il s’agisse de nouveaux accords, ou  seulement de renouvellement, doivent être approuvés par le Parlement avant de prendre effet.

Le gouvernement canadien devrait publier un Livre vert annuel traitant de la «politique sur la sécurité» pour que le Comité permanent sur les affaires extérieures et le commerce international ainsi que le grand public puissent l’étudier. De plus; le gouvernement devrait établir des procédures  pour une consultation régulière entre le secrétariat du Conseil privé responsable d’une politique sur la sécurité intégrée et le Parlement, les gouvernements provinciaux ainsi que la population canadienne.

Rapport de l’Enquête populaire sur la paix et la sécurité, avril 1992

« A l’heure des grands changements dans le monde : Pour une nouvelle conception de la sécurité. »