La portée « politique » de la non-violence

Écrit par Normand Beaudet

Au service du capitalisme américain?

Viktor Yushchenko. (Photo: CC)

Viktor Yushchenko. (Photo: CC)

Suite à la lecture du dossier: « La Transformation de l’Europe de l’Est », paru dernièrement dans Le Bulletin du CRNV (vol. 16, #1), j’ai consulté un article de l’économiste Michel Chossudovsky paru dans L’Aut’journal (édition de février 2005, p.5), dans lequel on apprend (avec stupéfaction!) que Victor Iouchtchenko « … est fermement soutenu par le FMI et la Communauté financière internationale. ».

Premier Ministre de 1999 à 2001, il a aussi été à la tête de la Banque Centrale d’Ukraine de 1993 à 1999, période pendant laquelle la monnaie locale fut fortement dévaluée, le prix des biens et services essentiels augmenté de façon exponentielle, le marché céréalier ukrainien offert en pâture aux intérêts américains. À noter qu’avant le démantèlement de l’URSS, l’Ukraine était l’un des plus grands producteurs de blé sur le marché international; quand on connaît l’aversion des américains pour tout ce qui s’oppose à leur hégémonie sur tout les plans (idéologique, politique, « économique »), le résultat n’est pas surprenant…

Révolution orange, Ukraine, 2004. (Photo inconnu)

Révolution orange, Ukraine, 2004. (Photo inconnu)

La révolution « orange », malgré sa dimension « non-violente », fut largement financée par des organismes privés et parapublics occidentaux (américains, en outre), parfois proche de la CIA (comme la NED – National Endowment for Democraty); c’est à se demander si les Ukrainiens savent exactement qui ils appuient en sortant par dizaines de milliers dans les rues pour défendre la démocratie? S’opposer à des élections truquées est une chose (bonne en soi), appuyer un candidat à ce point inféodé au capitalisme américain, celui-ci n’attendant que l’occasion pour imposer à tout un peuple sa vision du développement économique, en est une autre…

Demeurer critique

La non-violence n’est qu’un moyen pour atteindre des objectifs politiques, économiques, sociaux et démocratiques, bref, un moyen pour arriver à des fins autres qu’elle-même, des fins qui la dépassent. Dans l’enthousiasme général à propos des mouvements de masse pour la démocratie à travers le monde depuis les 15 dernières années (depuis la chute du Mur du Berlin, en fait), ne faut-il pas demeurer « critique » face au contexte qui les a vu naître et aux résultats réels, concrets de ces bouleversements politiques? Quiconque le moindrement informé sait que la situation présente des peuples anciennement soumis aux dictatures staliniennes est bien souvent pire qu’elle ne l’était du temps de l’URSS et du Pacte de Varsovie. La non-violence pour renverser un État totalitaire, oui mais pour quoi faire? Quelles en sont les conséquences au bout du compte?

Chute du mur de Berlin, novembre 1989. (Photo: inconnu)

Chute du mur de Berlin, novembre 1989. (Photo: inconnu)

La chute du Mur fut elle une bonne chose, une bonne nouvelle, une avancée pour l’Europe et l’Humanité en général? Oui et non. Oui, parce qu’elle correspondait à une volonté populaire exprimée maintes fois dans les pays de l’Est; non parce qu’elle représente, aussi, l’échec d’une tentative « sérieuse », révolutionnaire et historique de substitution au capitalisme devenu, depuis lors, « global », capable de soutenir n’importe quel mouvement de soi-disant « réforme » partout dans le monde afin de s’immiscer, subrepticement, aux commandes de l’État, des entreprises, de la vie civile et démocratique en général.

« Le renversement du communisme… » comme il est mentionné dans ledit dossier, c’est aussi la porte grande ouverte aux multinationales (devenues « Transnationales », sans frontières, sans limites), aux guerres de conquête américaines (cf. l’occupation de l’Irak que Iouchtchenko appuie), au dollar américain, seule monnaie (avec l’Euro) ayant une valeur d’échange d’importance; c’est aussi (paradoxalement) le resserrement des droits et libertés dans les pays occidentaux (sous couvert de lutte au terrorisme), la pauvreté du plus grand nombre, les scandales financiers, les archi-milliardaires qui possèdent (ou croient posséder) tout, l’eau, l’oxygène que l’on respire, jusqu’aux gènes qui nous distinguent en tant qu’espèce. La fin du communisme, c’est la fin d’une référence vivante comme alternative possible au néolibéralisme, c’est la fin d’un garde-fou réel à l’Impérialisme (qui est devenu aussi, il est vrai, Impérialiste à son tour…), c’est la fin d’un espoir en un monde où l’argent ne serait pas au centre de tout; malgré les limites évidentes de cette idéologie et les écarts qui ont été commis au nom du socialisme, de la Révolution et de la Raison, avons-nous trouver mieux de ce côté-ci de l’ancienne muraille? Qu’avons-nous à proposer aux peuples russes, polonais, hongrois, aux nouvelles Républiques Islamiques issues de l’ex-URSS? Pas grand-chose, j’ai bien peur car le capitalisme a aussi échoué à apporter égalité, justice et démocratie à l’humanité; tout ce qu’il a fait, c’est de permettre à une minorité de s’enrichir au détriment d’une majorité, d’où la violence que cela entraîne et va entraîner encore pendant longtemps, tant que les Occidentaux ne renonceront pas à leurs privilèges. Ce ne semble pas être demain la veille…

(NDLR)Notre dossier spécial sur la révolution non-violente en Europe de l’Est a fait réagir. Nous avons reçu vos commentaires avec joie, et nous publions ici des extraits d’un des textes reçus. La version intégrale pourra être lue sur notre site internet. La question soulevée est fondamentale. Oui, la non-violence est une puissante force de transformation politique. Son utilisation lève par contre de plus en plus de questions? Comment s’assurer qu’une révolution mène à des retombées positives pour les peuples? Comment éviter la manipulation de ces jeux de pouvoir? La révolution non-violente face au capitalisme reste à faire, comment?. Pouvons-nous reprocher aux gens d’Europe de l’Est de ne pas avoir renversé le capitalisme à notre place? De beaux numéros spéciaux en perspective?..