Haïti, la catastrophe part de loin

Écrit par Gerry Pascal

Au moment de la tragédie du séisme du 12 janvier dernier, Haïti n’était pas moins un pays en désastre. La catastrophe part de loin si l’on considère l’héritage colonial destructeur, la condition sociale qui en découle ainsi que l’action sur l’environnement durant toute l’histoire du pays.

Dommages causés par le tremblement de terre à Port-au-Prince, Haiti, 13 janvier 2010. (Photo: domaine public)

Dommages causés par le tremblement de terre à Port-au-Prince, Haiti, 13 janvier 2010. (Photo: domaine public)

Le 12 janvier 2010 est une date inoubliable dans l’histoire d’Haïti. C’est la date du plus grand tremblement de terre depuis 200 ans qui a fait 200 000 morts, 300 000 blessés et un million de sans-abris. Le parlement, le palais présidentiel, plusieurs ministères ont été détruits en même temps que les commerces, les habitations privées, les infrastructures de communication, de distribution d’eau et d’électricité. Port-au-Prince, l’épicentre du désastre, avec la densité de la population qui est la sienne, a été le plus touché.

Dans les semaines qui ont suivi l’événement, c’est la question de l’aide immédiate qui s’est trouvée posée. Il faut réorganiser une infrastructure minimale et assurer la transition à un gouvernement qui a perdu une partie de son équipe. Malgré l’ampleur des tâches à accomplir, on peut dire qu’Haïti et la communauté internationale font l’essentiel compte tenu de la situation.

Mais au moment de la tragédie du 12 janvier, Haïti n’était pas moins un pays en désastre. La catastrophe part de loin si l’on considère l’héritage colonial destructeur, la condition sociale qui en découle ainsi que l’action sur l’environnement durant toute l’histoire du pays.

Il y a plus de deux cents ans, suite à des révoltes que la France a tenté de mater indéfiniment, les esclaves noirs d’Haïti ont proclamé leur indépendance créant ainsi une première république noire et le deuxième pays indépendant d’Amérique. Mais ce geste n’est pas sans prix car la France leur imposera en 1825 une dette de 150 millions de francs-or (à peu près 21 milliards de dollars aujourd’hui), soit le budget annuel de la France à l’époque. L’ancien maître colonial a décidé que « les habitants actuels de la partie française de Saint-Domingue verseront à la caisse fédérale (française) … en cinq termes égaux, d’année en année … la somme de cent cinquante millions de francs destinée à dédommager les anciens colons … ».  Pour près de deux siècles, Haïti a passé le temps à rembourser et à s’endetter pour rembourser cette dette au lieu de se développer.

Résidents de Jacmel après les dommages du tremblement de terre, 17 janvier 2010. (Photo: domaine public)

Résidents de Jacmel après les dommages du tremblement de terre, 17 janvier 2010. (Photo: domaine public)

L’autre problème est l’ingérence et le contrôle militaire, politique et économique du pays par les États-Unis. De 1915 à 1935, les Américains ont gardé sous leur contrôle le territoire haïtien. Dans le cadre des échanges commerciaux, Haïti a été obligé d’accepter les arrangements désavantageux.  Avant 1980, les Haïtiens produisaient leur propre riz. Aujourd’hui, ils en importent des États-Unis à cause de tarifs préférentiels.

Dans un sens plus large les pays riches, avec la coopération de la Banque Mondiale et le FMI ont forcé l’un  des pays les plus pauvres du monde à  accepter les règlements qui l’appauvrissent encore plus.

Dans le cadre de l’environnement, Haïti s’est caractérisé de façon troublante par le  déboisement massif, œuvre des colonisateurs d’abord et celle des citoyens par la suite. La pauvreté du pays a rendu inaccessible une formation adéquate. Seuls les enfants des familles riches ont accès aux écoles de qualité, souvent même à l’extérieur du pays.

En fait, tout cela pose la question de la direction à prendre au cours des mois et des années à venir dans le processus de reconstruction. Pourrait-on parler de reconstruction si l’on ne pense pas à éradiquer les violences structurelles du passé qui expliquent pour une grande part la catastrophe actuelle ?

Toutes les démonstrations de générosité ne suffisent  pas si rien n’est fait pour l’annulation des dettes injustes qui constituent une grande violence contre le pays.  Aider Haïti, c’est aussi instaurer, sur le plan international, des mesures pour prévenir l’ingérence dans les affaires internes du pays.

L’aide n’aura pas aidé à prévenir d’autres catastrophes si l’argent n’est pas investi dans

1) la reforestation  et un programme pour trouver des alternatifs aux combustibles actuels ;

2) l’éducation ;

3) le soutien à l’établissement de la bonne gouvernance ;

4) l’établissement de meilleurs codes de construction ;

5) le développement de plus de terres agricoles ;

6) le découpage de la ville de Port-au-Prince en zones pour que les édifices ne soient plus érigés sur les lignes de failles géologiques ;

7) l’établissement des industries adaptées aux besoins du pays ;

8) L’augmentation du rôle solidaire de la  diaspora ;

9) le soutien des groupes populaires à la reconstruction du pays.