Commission de vérité et réconciliation du Canada : Les parties iront-elles ensemble jusqu’au bout ?

Il s’est passé bien des années de silence alors qu’étaient en cours la destruction des structures et des pratiques culturelles des Premières Nations, la politique d’assimilation des peuples autochtones.

Le Canada a séparé pendant une longue période les enfants  autochtones de leurs parents qualifiés unilatéralement de « parents inaptes » ou «indifférents à l’égard de l’avenir de leurs enfants ». Il a placé ces enfants dans des pensionnats où ils devaient adopter  les habitudes et les façons de penser des non-Autochtones.

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Pensionnat

Pensionnat

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Dans les pensionnats, véritables systèmes de contrôle des esprits, les objectifs éducatifs reflétaient le mépris que  les écoles entretenaient à l’égard des Autochtones. La négligence institutionnalisée et l’absence de supervision ont fait en sorte que les élèves, en proie à des violences sexuelles et physiques furent psychologiquement et spirituellement détruits. Une situation qui a duré jusqu’à la fin des années 1990.

S’en est suivi une période de déni et de multiples obstacles à la réparation pour les torts causés dans ce cadre depuis un siècle.

Puis, est advenue l’idée de constituer une Commission royale sur les peuples autochtones, idée qui a débouché en 1996 sur la recommandation d’un processus national de réconciliation. Une idée déjà novatrice dont les Premières Nations attendent beaucoup. Elles espèrent que le mandat déclaré de la Commission vérité et réconciliation (CVR) démarrée en 2010 soit de mener les peuples du Canada à la « réconciliation », la voie obligée pour assurer la paix non seulement physique mais aussi spirituelle entre les peuples qui constituent le Canada.

Par « réconciliation », la Commission entend un processus pouvant permettre « d’établir et de  maintenir une relation de respect réciproque entre les peuples autochtones et non autochtones ». Elle est d’avis que la meilleure manière d’y parvenir est d’abord de « prendre conscience du passé, reconnaître les torts qui ont été causés, expier les causes et agir pour changer les comportements ».

Ce qui implique tout un programme puisque, du point de vue des Premières Nations, le plus important dans la réconciliation est de pouvoir atteindre l’étape de la guérison. On s’entend qu’il s’agit de panser les plaies des violences dont la mémoire rend malade autant la victime que le bourreau. Le but ultime de la réconciliation est d’atteindre ce que certains ont appelé un « état de paix » et qui évoque le sentiment d’un aboutissement, même symbolique, de réalisation concrète d’une nouvelle relation.

De ce point de vue, la paix ne se réduit pas à l’aboutissement d’une « lutte pour la reconnaissance », selon le beau concept des penseurs du XIXe siècle,  puisqu’un  processus de paix est une promesse « d’action constructive ». Il doit se conclure par un programme positif, la preuve qu’il s’agit non seulement de mettre fin à une injustice mais aussi de mettre en œuvre ne serait-ce que l’ébauche d’une nouvelle relation basée sur la justice, la réciprocité et l’équité.  Il faut que les parties en lutte en viennent à penser que leur lutte non-violente n’était pas que pure illusion.

C’est la seule façon, nous disent par ailleurs les théoriciens contemporains de la non-violence, de rompre avec la fascination de la violence, de mettre fin au cycle des vengeances et d’éviter que les citoyens s’engagent dans ce que l’on a déjà appelé « conscience malheureuse », celle du militant condamné à lutter à l’infini simplement parce qu’il ne se croira jamais assez reconnu. En fait, qui peut donner l’heure juste à chaque citoyen en lutte pour qu’il s’estime assez reconnu?

Mais l’histoire peut nous renseigner sur certaines initiatives qui, sans doter de certitude pleine l’espérance, lui donnent quand même l’audace qui peut symboliser l’engagement conjoint sur une voie de coexistence équilibrée.

 Le cercle du silence, cérémonie de protestation contre une violation par ceux et celles qui refusent la bonne conscience et l’accusation unilatérale.  En silence, dernier recours quand les mots ne suffisent plus pour traduire le degré de blessure, les protestataires ne veulent s’exprimer autrement que par « le murmure d’une humanité blessée qui veut rester aimante », comme dirait B. Quelquejeu.

« Le don cérémoniel » est une autre initiative de paix qui, malgré toutes les accusations de naïveté qu’elle a connues, et avec « le pardon », symbolise de façon unique l’au-delà du conflit.

Ce que l’on apprend du sommaire du rapport de la Commission, c’est que cette demande de faire aboutir concrètement la réconciliation n’a rien d’une exigence dont puissent s’étonner les descendants des Premières Nations qui ne demandent rien de mieux, au-delà du déballage,  que le travail conjoint pour la guérison.

Movement », une initiative de jeunes composée de jeunes Autochtones et non-Autochtones : « Nous avons revu nos pensées et nos croyances à propos du colonialisme et avons pris l’engagement de défaire nos propres bagages et d’établir de nouvelles relations les uns avec les autres… ».

S’il y a blocage, ce sera puisque les responsables politiques des gouvernements canadiens se refusent à travailler pour une vision différente qui serait bénéfique pour tous les Canadiens.

Jessica Bolduc, une jeune autochtone a déclaré à l’occasion du « 4Rs Youth

Pour les Autochtones, chacun fait sa part en reconnaissant la « responsabilité de réconciliation ». Continuer le travail de réconciliation, c’est honorer les ancêtres, respecter la terre et rééquilibrer les relations.

Dans le même sens,  Mary Deleary, une aînée anishinaabe, a parlé,  à l’occasion d’un forum sur les gardiens du savoir traditionnel commandité par la CVR :

« Nous avons du travail à faire…vous aussi avez encore du travail à faire de votre côté … cette terre se forme grâce à la poussière qui provient des ossements de nos ancêtres. Et pour se réconcilier avec cette terre et avec tout ce qui s’y est produit, il reste encore beaucoup de travail à faire…pour espérer atteindre l’équilibre ».

Du fonds de leur cœur les survivants  des violences coloniales commises à travers des générations ont rapporté une disposition de l’esprit. La solution qu’ils proposent pour régler à jamais le conflit est la voie de la non-violence dont l’expression ultime est la guérison, synonyme de « changement de vision » et symbole d’engagement pour une vie en société qui n’est plus promesse de violence…newsnet_98647_4d72b6-comp

 

Bâtir la paix, c’est  opérer ce changement de posture, répandre une nouvelle vision en montrant que l’on peut passer des paroles aux actes.

Les parties seraient-elles toutes prêtes à suivre le processus jusqu’au bout?